Streaming Peines d'amour perdues avec sous-titres 1440

Peines d’amour perdues/Traduction Hugo, 1869

LA PRINCESSE DE FRANCE.

MARIA dames de la suite de LA PRINCESSE.

OFFICIERS, GENS DE SERVICE.

La scène est en Navarre. SCÈNE I.

[Un parc devant un château royal.] Entrent le Roi, Biron, Longceviiae et Du Maine.

LE ROI. Puisse la gloire, que tous poursuivent dans leur vie, — 6e fixer, à jamais vivante, sur nos tombes d’airain, — et nous prêter sa grâce dans la disgrâce de la mort. — En dépit du Temps, ce cormoran qui dévore tout, — nous pouvons, par un effort de cette éphémère existence, conquérir — un honneur qui émoussera le tranchant acéré de sa faux — et nous fera hériter de l’éternité tout entière. — C’est pourquoi, braves conquérants. (car vous êtes des conquérants, — vous qui faites la guerre à vos propres passions — et à l’immense armée des destins de ce monde,) — notre dernier édit restera en vigueur. — La Navarre sera la merveille du monde ; — notre cour sera une petite académie, — vouée, paisible et contemplative, à la vie de l’art. — Vous trois, Biron, Du Maine et Longueville, — vous avez juré de rester ici avec moi pendant trois ans, — comme mes compagnons d’étude et d’observer les statuts — enregistrés dans cette

Il montre un parchemin. — Vos serments sont prononcés ; maintenant apposez

vi. 21 vos signatures, — pour que quiconque violera le moindre article de la convention - voie son honneur frappé par sa propre main. — Si vous vous sentez assez forts pour faire ce que vous avez juré de faire, — signez votre serment et tenez-le.

— Je suis résolu. ce n’est qu’un jeûne de trois ans ; l’âme fera bonne chère tandis que le corps pâtira. — A large panse maigre cervelle. les morceaux succulents,

— s’ils enrichissent la chair, mettent l’esprit en banqueroute.

— Mon aimable seigneur, Du Maine est déjà mortifié ;

— il abandonne aux vils esclaves d’un monde grossier — la grossière habitude des jouissances de ce monde. — Je renonce et je meurs à l’amour, au luxe et à la pompe, — pour vivre avec vous dans la philosophie !

— Je ne puis que répéter la même protestation, — ayant déjà juré, cher suzerain, — de vivre et d’étudier ici trois ans. — Mais il est d’autres vœux, rigides, — comme de ne pas voir de femmes pendant tout ce temps-là. — j’espère bien que cette condition n’est pas dans l’acte ; comme de vivre un jour de la semaine sans toucher un aliment, — et les autres jours avec un seul repas :

— j’espère que cette condition n’est pas dans l’acte. — comme aussi de ne dormir que trois heures la nuit,

— et de ne pas fermer l’œil de toute la journée. — moi qui suis habitué à dormir sans remords toute la nuit

— et même à faire une nuit épaisse de la moitié du jour. — j’espère bien que cette condition-là non plus n’est pas dans l’acte. — Oh. ce sont des mortifications trop dures à subir. ne pas voir de dames, étudier, jeûner et ne pas dormir. SCÈNE I. 327

— Vous avez fait le vœu de toutes ces abstinences.

— Daignez me permettre de dire que non, mon suzerain. — J’ai seulement juré d’étudier avec Votre Grâce — et de rester ici à votre cour l’espace de trois ans.

— Vous avez juré cela, Biron, comme tout le reste.

— Oui et non, sire ; je n’ai juré que par plaisanterie. Quel est le but de l’étude. Apprenez-le moi.

— Eh bien, c’est de savoir ce qu’autrement nous ne saurions pas.

— Vous voulez dire les choses cachées et interdites à la sensation ordinaire, n’est-ce pas ?

— Oui, c’est-là la divine récompense de l’étude.

— Eh bien, soit. je veux bien jurer d’étudier — pour connaître la chose qu’il m’est interdit de savoir. — Par exemple, je jure d’étudier à bien diner, — quand la bonne chère me sera expressément défendue, — ou d’étudier à découvrir une maîtresse mignonne, — quand les maîtresses seront interdites à la sensation ordinaire ; — ou enfin, ayant fait un serment trop dur à tenir, — d’étudier à le briser sans manquer à ma foi. — Si tel est le bénéfice de l’étude, s’il est vrai que, l’étude est la connaissance de ce que nous ignorons, — i’aites-moi prêter serment, ut jamais je ne me rétracterai !

— Vous citez là toutes les distractions qui entravent 328

PEINES D’AMOUR PKHDUES.

l’étude — et qui habituent nos âmes aux vaines jouissances.

— Ah. toutes les jouissances sont vaines ; mais la plus vaine de toutes — est celle qui, acquise avec peine, ne rapporte que peine ; — c’est celle qui consiste à se morfondre péniblement sur un livre, — pour chercher la lumière de la vérité, tandis que la vérité — ne fait qu’aveugler le regard de son éclat perfide. — La lumière ici-bas se perd à chercher la lumière. — Avant que vous découvriez la lumière au milieu des ténèbres, —la lumière devient ténèbres pour vous par la perte de vos yeux. — Étudiez-vous plutôt à charmer votre regard, — en le fixant sur un œil plus doux, — qui, s’il vous éblouit, deviendra votre astre - et prêtera sa lumière à vos yeux aveuglés. — L’étude est comme le glorieux soleil du ciel

— qui ne veut pas être scruté par d’impudents regards.

— Les piocheurs assidus n’ont guère gagné jamais — qu’une chétive autorité empruntée aux livres d’autrui. — Ces terrestres parrains des lumières du ciel, — qui donnent un nom à toutes les étoiles fixes, — ne profitent pas plus de leur clarté nocturne —que ceux qui se promènent en ignorant qui elles sont. A trop connaître, on ne parvient qu’à être connu, — et tout parrain peut vous faire donner un nom.

— Quelle science il montre à raisonner contre la science !

— Excellent docteur pour entraver toute saine doctrine. ’

— Il sarcle le bon grain et laisse croître ce qu’il faut sarcler. SCENE I.

— Le printemps est proche, quand les oisons couvent.

Belle chance à la face qu’il couvre !

— Le ciel vous envoie beaucoup d’amants !

Amen. pourvu que vous n’en soyez pas un !

— Aucun danger. je me retire.

LE ROI, à LA PRINCESSE. -Madame, votre père nous parle ici —d’un payement de cent mille écus — qui ne sont qu’une moitié de la somme — que mon père a déboursée pour lui dans ses SCENE m.

guerres. — En admettant (ce qui n’est pas) que le feu roi ou moi — ayons reçu cette somme, il reste encore à payer — cent mille autres écus ; c’est en garantie de cette dette — que nous détenons une partie de l’Aquitaine, — quelque inférieur que soit ce gage à la valeur représentée. — Si donc le roi votre père veut seulement nous rembourser — la moitié qui reste à solder, — nous renoncerons à nos droits sur l’Aquitaine, — et nous maintiendrons une alliance amicale avec Sa Majesté. — Mais il ne paraît ’guère que telle soit son intention, — car il réclame la restitution - de ces prétendus cent mille écus, au lieu de s’offrir, — par un payement de cent mille écus, — à racheter pour jamais ses droits sur l’Aquitaine. — Quant à nous, nous aurions mieux aimé céder cette province, — en recouvrant la somme prêtée par notre père, — que de garder l’Aquitaine mutilée comme elle l’est. — Chère princesse, si la demande de votre père n’était pas si éloignée — de tout compromis raisonnable, votre beauté aurait obtenu — des concessions, même peu raisonnables, de mon cœur, — et vous seriez retournée en France parfaitement satisfaite.

— Vous faites trop d’injure au roi mon père, — trop d’injure à votre propre renommée, — en vous refusant ainsi à accuser réception - de ce qui a été si fidèlement payé.

— Je proteste que je n’ai jamais ouï parler de ce payement ; — si vous pouvez le prouver, je suis prêt à restituer la somme — ou à céder l’Aquitaine.

Nous vous prenons au mot. — Boyet, vous pouvez produire les quittances — données, pour cette somme, par les officiers spéciaux - de Charles, son père. 354

PEINES D’AMOUR PERDUES.

Doûnez-moi cette preuve.

— N’en déplaise à Voire Grâce, nous n’avons pas encore reçu le paquet — qui contient ces quittances et d’autres pièces probantes. — Demain vous les1 aurez sous les yeux.

— Cela me suffira ; dans cette conférence, — je suis prêt à accepter tout accommodement raisonnable. — En attendant, recevez de moi la plus cordiale hospitalité — que l’honneur puisse, sans manquer à l’honneur, — offrir à votre incontestable mérite. — Vous ne pouvez pas franchir mes portes, belle princesse ; — mais par la réception qui vous sera faite ici, à l’extérieur, — vous reconnaîtrez avoif trouvé dans mon cœur — l’affectueux asile qui vous est refusé dans ma maison. — Que votre indulgence m’excuse. Adieu. — Demain nous vous ferons une nouvelle visite.

— Que la douce santé et les désirs satisfaits tiennent Votre Grâce en joie !

— Je te souhaite à tout jamais ton1 propre souhait !

Le roi sort ave6 sa suite. BIRON, à Rosaline.

— Madame, je vous recommanderai à mon cœur.

— Je vous en prie1, recommandez-môt bien ; je serai fort aise de le voir.

— Je voudrais qtfe vous l’entendissiez gémir.

ROSALINE. Le fou" a-t-il quelque mal. SCÈNE 111. 355

— Hélas. il lui faudrait une bonne saignée.

— Cela lui ferait-il du bien ?

— Ma médecine dit oui.